Qu’est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? […] Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri. (Baudelaire, Les Paradis artificiels, VIII, p. 329)
Le geste du palimpseste est une focale sur le support (quelle que soit sa composition) en ce qu’il implique un processus d’écriture(s) sur écriture(s) : il s’agit de « gratter » l’écriture d’un support pour qu’elle devienne le média d’une nouvelle écriture. Parce que le média numérique fonctionne par réécritures et remédiations constantes, le dispositif du palimpseste me permettra d’étudier les manifestations de la littérature dans les nouveaux médias et de comprendre les implications du média dans la production d’une littérature en tant qu’il devient une instance d’énonciation.
Parce que le support doit être réinscrit, le processus du palimpseste ne vise pas à saper la matière : il souhaite davantage la moduler et engage ainsi une connaissance précise des caractéristiques, des réactions, des limites du média. Cette connaissance est le résultat de pratiques répétées. Le dispositif du palimpseste procède d’expérimentations réitérées afin de parvenir à la nuance de sur-inscrire sans détruire. Cette première considération initie ma démarche de création qui se propose comme des expérimentations sérielles littéraires. Ces tentatives destinées à comprendre ce que peut être un geste palimpseste – soit les mesures de saturation, d’épuisement, de superposition du média littéraire – seront opérées sur différents supports (papier et autres supports physiques, numérisation et format numérique) à partir d’un corpus que nous avons défini au préalable (le site Fragments, chutes et conséquences de Joachim Séné [2009], Uncreative Writing de Kenneth Golsmith [2011] et sa traduction française L’écriture sans écriture par François Bon [2018], et l’objet livre Nox d’Anne Carson [2010]), des œuvres qui se construisent sur une idée de la plasticité de l’écriture. Il en résultera plusieurs objets littéraires conçus comme des détournements de notre corpus : ces écritures déjà médiatisées, qui tentent l’épuisement d’un média, constitueront des supports plastiques à une nouvelle écriture. Nous présentons ici les débuts de ces expérimentations.
Parmi les œuvres de notre corpus qui thématisent le palimpseste et l’interrogent, nous avons choisi d’expérimenter d’abord sur l’Uncreative Writing de Kenneth Goldsmith1. La démarche de création de l’auteur (celle de, par exemple, recopier l’intégralité d’un numéro du New-York Times sans modifications dans [Day]) se fonde sur un agencement textuel. L’uncreative writing ainsi performée n’épuise pas l’idée d’originalité de l’écriture dans sa matière, elle l’épuise dans son message : la matière d’écriture est nouvelle et un nouveau média est, en ce sens, conçu bien qu’il s’agisse d’un message déjà édité. Où se situe alors la création ? Dans le geste, provocateur, mais également incisif qui consiste à disposer différemment. Paradoxalement, la création littéraire n’est ici pas textuelle, elle est une performance qui est intéressante en tant que production d’un artefact. Or, toute nouvelle écriture, même uncreative, nécessite un nouveau média, vierge… sauf dans le procédé du palimpseste. Le palimpseste apparaît dans cette perspective être l’approche renversée de l’uncreative writing : le média est déjà connu (inscrit), le message est nouveau. Dans cette configuration, l’uncreative se situe du côté du media. La traduction de l’ouvrage de Goldsmith par François Bon confirme l’importance d’un texte au-delà d’un média tout en demeurant dans une démarche propre à l’uncreative writing dans la mesure où elle abandonne – par le principe même de traduction – la dimension de creativité. Il n’en demeure pas moins que la traduction de Bon est une proposition qui souhaite retranscrire une conception littéraire dans un nouveau système sémantique et langagier donc apporte en écriture à l’inscription originale.
L’objectif des expérimentations qui suivent est d’épuiser, comme Goldsmith l’originalité de l’écriture, l’Uncreative Writing par un procédé palimpsestique, soit d’utiliser les écritures médiatisées (l’ouvrage original) comme le support d’inscription d’une écriture seconde (la traduction).
Où placer le geste palimpseste ? Un document numérique étant généralement composé de strates de textes, la performance d’une écriture sur une écriture peut être établie à plusieurs niveaux :
À quel endroit, dans quelle strate se situe ce qui constitue le texte numérique ? Avec quels outils et méthodes procéder ? Dans les expérimentations qui suivent, trois procédés ont été envisagés :
Du choix du niveau, des outils, des méthodes dépendent la considération qui est faite du média littéraire et le type de palimpseste produit.
Pour poursuivre la logique d’écriture sur écriture, les expérimentations seront exclusivement réalisées par l’utilisation de notre terminal d’ordinateur. Le terminal constitue un périphérique, un espace de communication entre l’utilisateur et sa machine. Pour effectuer une action, une requête, l’utilisateur écrit dans cette interface ce qui est appelé « des commandes », qui vont être analysées par la machines puis réalisées si cela est dans ses capacités. Parce que les commandes alphanumériques agissent comme des mots d’ordres pour la machine, le terminal est apparu comme une possible remédiation du stylet. L’écriture sera l’outil permettant de moduler les écritures.
Les extraits de création qui suivent présentent quatre types d’expérimentations : la superposition, la conversion, l’océrisation et l’encryption. Chacune de ces exécutions tentent de cerner les possibles du palimpseste dans le média numérique. Sont issues plusieurs textures de l’objet littéraire qui est tantôt manipulé, disséqué, détourné à plusieurs de ses niveaux. L’approche de création étant conçue en tant que processus, un métalangage (expliquant la pratique) est présent : il a cependant été édité, dans la version HTML du document, comme un texte palimpsestique.
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Si les objets littéraires ne sont pas investis, la superposition procède d’une écriture (le code HTML) qui se trouve en deçà :
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
La superposition établit le palimpseste par arrangement esthérique : les deux documents sont remédiés sans être atteints ou grattés. Cela demeure une mise en scène du palimpseste. C’est pourquoi nous avons voulu par la suite opter pour des procédures plus intrusives.
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Cette première conversion a été réalisée avec le stylet suivant :
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
À partir du TXT, les objets littéraires sont convertis au format HTML (Hypertext Markup Language), langage de balise permettant de visualiser les pages web avec le stylet suivant :
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
L’océrisation a été exécutée avec le stylet suivant qui implique le moteur de reconnaissance de caractères Tesseract OCR :
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
La difficulté majeure pour l’OCR dans le cas de l’image précédente est la différence de mise en page. C’est pourquoi, en vue d’obtenir une image plus lisse du palimpseste pour préciser l’océrisation, les pages de remerciements ont été éditées de façon identiques.
Passez à ce niveau du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez sur le milieu du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Ces processus de conversion, superposition, modulation successifs laissent à penser que le palimpseste pourrait consistuer une palingénèse d’un support.
Passez sur le milieu du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez sur le milieu du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez sur le milieu du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez sur le milieu du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez sur le milieu du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Passez sur le milieu du document et ensuite sur le texte pour développer le métatexte.
Les circonstances actuelles limitaient l’accès à du matériel (machines notamment) nécessaire aux expérimentations. Les expérimentations qui suivent sont ainsi exclusivement numériques.↩